Le sport moderne, analysé à travers le triptyque aristotélicien :
- mimèsis (imitation),
- catharsis (cohésion émotionnelle)
- praxis (expérience vécue),
révèle une mutation sociétale fondamentale.
Originellement appliqué à la tragédie collective, ce triptyque s'est recentré sur l'individu-performeur, faisant du corps un territoire d'expression et de réussite personnelle dans un monde où les grands récits collectifs se sont effacés.
Dans ce contexte, le « culte de la performance » décrit par Alain Ehrenberg érige l'athlète en modèle social.
Le corps devient un "capital-projet" à optimiser, comme l'a montré Georges Vigarello, symbolisant la réussite par l'initiative individuelle.
Cette quête de sens se matérialise dans un corps sain et entraîné.
Cette reconfiguration transforme chaque concept du triptyque :
- La mimèsis glisse de l'imitation d'actions universelles à celle des styles de vie idéalisés des athlètes-influenceurs sur les réseaux sociaux, générant comparaison sociale et anxiété psychologique.
- La catharsis devient une libération émotionnelle de masse, globalisée et commercialisée, exploitée par l'industrie du sport et la politique, tout en offrant de rares moments de communion collective.
- La praxis se métamorphose en performance quantifiée ("Quantified Self"). Les technologies de suivi optimisent le geste mais risquent d'aliéner le sujet de son intuition corporelle en le transformant en un "double numérique".
Le sport contemporain est donc paradoxal : il est un puissant outil d'émancipation et de lien social, créant des communautés (comme le CrossFit ou l’HYROX) qui allient individualisme et esprit de tribu.
Simultanément, il est un vecteur de nouvelles normes de performance et de contrôle biopolitique, reflétant les tensions du sujet moderne.
Le corps sportif, territoire d'expression de toutes ces tensions, demeure sans doute le sismographe le plus sensible et le plus fidèle des métamorphoses de l'individu dans la société contemporaine.
D'où cette question : "Pourquoi diable les marques qui nous habillent, accessoirisent ou équipent nos corps, singulièrement les marques de sport, ne s'intéressent-elles que si peu ou si mal au Corps ?"